Longtemps je me suis couché de bonne heure
dans la fraîcheur de ma chambre noire
pensant non à moi
mais aux femmes que je verrais
je leur souriais
d’avance dans la glace oblique
mêlé de lumières et de musique.
Au-dessus des rideaux,
il n’y avait plus qu’un mince liséré de jour
qui allait s’obscurcissant.
Dans la glace oblique
Je reconnaissais cette heure utile,
vestibule profond du plaisir,
dont j’avais appris à connaître le vide
sombre et délicieux
Je te voyais
Dans la glace oblique
Une heure n'est pas qu'une heure
Dans la glace oblique
Seul dans ma chambre
je voyais sans tristesse
le jour mourir au-dessus des rideaux,
sachant que bientôt,
après une nuit
aussi courte que les nuits du pôle,
il allait ressusciter plus éclatant
Un des angles de la pièce se creusait à vif
dans la douce plénitude de mon champ visuel
où ma pensée,
s’efforçant pendant des heures de se disloquer,
avait souffert bien de dures nuits,
tandis que j’étais étendu dans mon lit,
jusqu’à ce que l’habitude
eût changé la couleur des rideaux,
fait taire la pendule,
enseigné la pitié à la glace oblique
Je te voyais
Dans la glace oblique
Une heure n'est pas qu'une heure
Dans la glace oblique
Mon corps avait viré
une dernière fois
et le bon ange de la certitude avait tout arrêté
autour de moi,
Je passais la plus grande partie de la nuit
à me rappeler notre vie
Car l'homme est cet être sans âge fixe,
cet être qui a la faculté de redevenir en quelques secondes
de beaucoup d'années plus jeune,
et qui entouré des parois du temps où il a vécu, y flotte,
mais comme dans un bassin dont le niveau changerait constamment
et le mettrait à portée tantôt d'une époque, tantôt d'une autre.
Une heure n’est pas une heure,
Une heure n’est pas une heure,
c’est un vase rempli de parfums,
de sons, de projets et de climats.
Dans notre vie
les jours ne sont pas égaux.
Il y a des jours
qu'on met un temps infini à gravir
et des jours en pente
Le Temps a ainsi des trains express et spéciaux
qui mènent à une vieillesse prématurée.
Mais sur la voie parallèle circulent des trains de retour,
presque aussi rapides.
Le temps
a pris la forme de l'espace,
les événements
plus vastes que le moment
où ils ont lieu
ne peuvent y tenir tout entiers.
Ils débordent sur l'avenir